La phronèsis, une vertu professionnelle

    La phronèsis (φρόνησις en grec ancien) est une vertu développée par Aristote, dans Ethique à Nicomaque notamment dans le livre VI, qui est souvent traduite par prudence, sagacité ou sagesse pratique. Cette vertu de la pensée n'est pas scientifique comme la science (épistémé) ou la sagesse théorique (sophia)1 mais calculative, elle est ancrée dans le monde pratique et orientée vers l'action.

Réaliser le bien

    Faire preuve de phronèsis ne peut se faire en se détachant de la question de la finalité et donc de l'évaluation du bien. Cette vertu est donc pour Aristote plus que de la précaution, «c'est une intelligence devenue connaturelle de la meilleure manière de réaliser pratiquement le bien pour soi et pour les autres » (Lefebvre, p 107) . Il ne peut donc y avoir de phronèsis sans visée du bien et « c'est ce qui la distingue de la pure habileté (deinotès) que les prudents possèdent en commun avec les fourbes. » (Morel, p 206). La phronèsis ne peut pas être sans habileté mais elle ne se réduit pas à ce « savoir-faire ». La phronèsis invite donc à chercher l'excellence dans la « considération du bien et du mal pour soi-même et les autres dans le monde pratique » (Lefebvre, 2003). Aristote ne sépare pas ce que la prudence permet d'accomplir de ce en vue de quoi elle l'accomplit, il ne peut donc pas y avoir de prudence sans fin, « la prudence articule donc, sans rien céder de la rationalité qui la caractérise, la mise en oeuvre des moyens et la représentation de la fin en vertu de laquelle ces derniers sont louables » (Morel, p 207).

Norme et situations singulières

    Cette sagesse pratique est la vertu de ceux qui savent adapter la norme pratique aux situations singulières. La Phronèsis est l'excellence en terme de savoir pratique permettant de tenir ensemble la généralité de la règle et la singularité du cas. Elle porte donc sur des objets, des situations particulières et contingentes et non sur des généralités. Il s'agit donc d'évaluer, de juger et de choisir pour ne pas appliquer des règles universelles aux situations particulières mais pour chercher la juste mesure, le juste milieu. « La phronèsis permet de trouver l'excellence qui est le juste milieu entre l'excès et le défaut. (…) Le juste milieu c'est de qu'on doit faire, quand on le doit, dans les circonstances où on le doit, envers les personnes envers qui on le doit, pour la fin pour laquelle on le doit, comme on le doit. (Molinier, 2006, p 123)

Une délibération

    Un homme prudent est donc celui qui est capable d'agir de façon adéquate après délibération en prenant en considération la situation sans oublier les finalités. Ainsi « le propre de l'homme prudent c'est d'être capable de délibérer correctement sur ce qui est bon et avantageux pour lui-même, non pas sur un point partiel mais d'une façon générale ». L'homme prudent doit être apte à bien juger. Ce jugement mis en oeuvre par l'homme agissant s'apprend, se développe notamment avec l'expérience, et s'entretient notamment pendant les temps collectifs entre personnes partageant les mêmes enjeux et des situations proches. La phronèsis peut donc être vu comme une « intelligence délibérative qui s'exerce entre égaux, entre pairs » (Molinier, p 124).




Bibliographie

Lefebvre David, Aristote, Hachette supérieur, Paris, 2003, 191 p

Molinier Pascale, Les enjeux psychiques du travail, Payot, 2006, 331 p

Morel Pierre-Marie, Aristote, GF Flammarion, Paris, 2003, 303 p

1 Comme le souligne David Lefebvre, alors que Platon faisait de la phronèsis un équivalent de sophia, plaçant l'action bonne sous la dépendance ultime d'une sagesse purement théorique, Aristote affirme nettement la spécificité de la prudence par rapport à la connaissance pure, tout en la jugeant inférieure à la sophia.